« Marcher, penser, l’un ne va pas sans l’autre. » Montaigne

 

« Voilà mon chemin ; et vous, où est le vôtre ? C’est ce que je réponds à ceux qui me demandent le chemin. Le chemin, en effet, n’existe pas. » Friedrich Nietzche, Ainsi parlait Zarathoustra (1883)

Un chanson de Tonton David ne disait-elle pas « Chacun sa route, chacun son chemin, chacun son rêve, chacun son destin… Chacun prend le train, le joli train de la vie et chacun fait SON Chemin.

« Marcher, penser, l’un ne va pas sans l’autre » disait Montaigne. Pourtant il y a autant de façon de marcher que de marcheurs et il me plait à penser que la marche est non seulement, une façon de se vider l’esprit mais surtout d’agir comme un filtre de nos vies, en écartant le superflu et ne gardant que l’élémentaire.

Lorsque je marche, j’oublie où, comment et pourquoi je marche. Nous étions tous, là sur le Chemin, de nationalités différentes à échanger sur ce Chemin de Compostelle qui nous lie tant, sans savoir ni comment, ni pourquoi nous marchions. Nous échangions sur cette motivation personnelle et de nous voir ainsi, meurtris, fatigués, pour certains les pieds esquintés ou les genoux en vrac….mais pourtant, toujours heureux de repartir chaque matin et de remettre un pied devant l’autre le matin suivant.

Sans nous l’expliquer, nous nous disions repartir, comme nous reprendrions « le chemin du boulot » (pour la plupart, sans le faire pour autant « la fleur au fusil » dans nos boulots respectifs) et pourtant….tous nous repartions, éclopés, rouillés, courbaturés après bien souvent une mauvaise nuit passée dans un dortoir de ronfleurs… Oui, tous nous repartions une fois de plus, animés par je ne sais quelle petite voix intérieure qui nous guide « Ultreïa » (Toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus fort )!

Virginia Woolf disait « les pensées en marchant sont faites à moitié de ciel. » Ce qui signifie, d’après moi que lorsque le marcheur cesse d’être le sujet du paysage, qu’il s’y fond et s’y confond, mélangeant et sachant alors pleinement apprécier les odeurs, les couleurs, les sons et bruits de la nature, sa fatigue et sa sueur, il éprouve alors dans son corps, cette pesanteur rassurante qui le tient – sans le retenir – dans une instabilité. C’est ainsi qu’il remet, chaque matin qui s’annonce, un pied devant l’autre en réaffirmant à chaque pas, son ancrage dans le sol, avec cette terre dont il a été pétri dès sa naissance.

Tout comme j’aime à pratiquer dès que possible, mon Yoga matinal ou mon Qi-Gong, pieds nus dans l’herbe car c’est par ce contact avec la surface de la terre que je fais l’expérience de la consistance des choses. De la même façon, la marche permet d’éprouver sous ses godasses la richesse des pierres ; quelle soit gravier, cailloux, ou moraine, le « spongieux » de l’humus, la fraicheur du torrent ou la sécheresse du Causse blanc. Qui vit cette expérience dans son corps vit cette relation à l’espace et au monde.

« Au milieu du cosmos se dresse l’homme, car il est plus important que toutes les autres créatures qui demeurent dépendantes du monde. Bien qu’il soit certes petit de taille, il est cependant puissant par la force de son âme. Sa tête est dirigée vers le haut et ses pieds s’appuient sur une fondement ferme. Il peut donc mettre en mouvement aussi bien les choses les plus élevées que les plus basses. » Hildegarde de Bingen

Georges Pérec dans sa « Tentative d’épuisement d’un lieu Parisien », cherchait à épuiser l’espace en marchant. De la même façon, si j’aime tant cette longue marche sur le Chemin de Compostelle – sans ambition aucune, car je n’y parviendrai jamais – c’est parce que j’ai l’impression – non pas de m’épuiser moi-même, malgré mes douleurs – mais « d’épuiser » ce pays que je traverse, comme on « fatiguerait» une salade qu’on tourne et retourne dans un saladier.

« Epuiser le pays » pour les rencontres que j’y fais avec les gens: les randonneurs ou les pèlerins comme moi mais qui sont si différents de moi, les habitants du coin qu’il soit l’épicier ou le boulanger qui va me permettre de me nourrir, le cultivateur ramassant ses melons dans son champ, la vieille femme assise sur son banc à l’entrée du village qui m’interpelle, l’hôte qui m’accueille chaque soir….. tous me permettent de m’oublier un peu, de me détacher de mes pensées qui reviennent certains jours, si souvent .

« Epuiser le pays » pour les rencontres que j’y fais avec le paysage et son histoire: merveilleuses vaches de l’Aubrac, légendes de La Margeride ou du Gévaudan, herbes folles, déchets, fumier, champs de tournesols, de millet ou de maïs, sentier entre deux murets de pierres, cazelles de berger…. tous me remplissent et me vident du quotidien.

Entre l’immensité du ciel, des collines, des monts ou des vallons qui s’offrent au marcheur et le minuscule de la brindille qui craque sous ses pieds, de la fourmi qui le précède ou le suit….le marcheur chemine dans le cosmos et si on lui demande :« Où vas-tu ? » Comme Victor Hugo, il répond : « Je l’ignore et j’y vais. »